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Sa famille ayant toujours vécu à la campagne -mais lui-même ayant grandi à Paris, Serge Joncour a voulu replonger dans ses souvenirs familiaux, ceux d’un monde rural proche de la nature mais radicalement transformé par l’évolution rapide du monde et de la société durant la seconde moitié du 20ème siècle. Il s’en inspire pour son nouveau roman au long duquel il nous invite à partager l’histoire des Fabrier, agriculteurs dans le Lot depuis plusieurs générations. Et plus particulièrement celle d’Alexandre, seul garçon de la fratrie, qui va vite comprendre que ses trois sœurs ne portent aucun intérêt à la ferme et que c’est à lui que va incomber la lourde charge de reprendre l’exploitation.
Nous sommes au milieu des années 70, les idées politiques, les progrès techniques, les habitudes de consommation, le travail et les loisirs, tout change à une vitesse considérable, sans compter les catastrophes industrielles. Et ce n’est pas à ceux qui partent vers la ville pour être acteurs d’un monde nouveau que Serge Joncour s’intéresse mais plutôt à ceux qui restent et vont se faire rattraper par ce monde nouveau, « mondialisé ». Que va devenir le métier d’agriculteur?.... nouvelles machines, nouvelles étables, nouvelles nourritures pour le bétail, obligation de voir « grand », faut-il tout changer et s’endetter à vie pour livrer le nouvel hypermarché (les expéditions la famille Fabrier au Mammouth valent presque à elles seules la lecture)? Ou doit-il rester là à préserver et entretenir ce bout de nature qu’aime tant Constanze, cette jeune est-allemande -qui fréquente des groupes d’activistes !- dont il est tombé follement amoureux mais que les aspirations professionnelles portent loin de la France?
Quel rapport veut-il finalement avoir avec cette Nature dont il n’est, comme tout un chacun, qu’une seule pièce de l’ensemble ? Le livre se dévore ! On s’attache rapidement aux Fabrier, à leur façon d’analyser et de traverser ce bout de 20ème siècle (de 1976 à la fin des années 2000), et à leur histoire qui se révèle être une captivante chronique de la société française de cette époque.
Gregory
Paru en août 2020. Existe aussi au format numérique.
Dans les années 1980, à l'âge de trente ans, Eddy L. Harris ressent le besoin de vivre une expérience hors norme. Il est depuis son enfance fasciné par le Mississippi, ce fleuve mythique qui traverse les Etats-Unis du Nord au Sud. Il décide de le descendre en canoë depuis sa source dans le Minnesota jusqu'à son embouchure dans le Golfe du Mexique et se lance dans l'aventure, sans doute innocent des dangers qui l'attendent : le trentenaire n'a jamais canoté plus de quelques heures dans sa vie, est équipé assez sommairement d'une tente et de quelques sacs étanches pour protéger son matériel de survie assez rudimentaire. Il n'a jamais non plus expérimenté la solitude. Mais il est bien décidé à parcourir les 6500 km de l'Old Man River, à la force de ses bras. Et à découvrir les différentes visages de l'Amérique, les ambiances contrastrées entre les états du Nord et les états du Sud, à rencontrer ses habitants tout en prenant la mesure du racisme : Eddy L. Harris a la peau noire, et ne s'est jamais vraiment vécu comme Noir jusqu'à ce jour. Ce voyage sera l'occasion de sonder le coeur des Américains et de plonger au plus profond de lui-même.
Ce livre est à la fois un récit de voyage, une étude sociologique sur l'Amérique, une description fascinante de la beauté et de la force de la Nature, un récit intimiste et philosophique sur la solitude et la quête du bonheur. C'est un texte passionnant, palpitant et émouvant.
Trente ans plus tard, Eddy L. Harris revient sur ce livre qui a été décisif dans sa carrière d'écrivain et sur cette expérience qui l'a marqué. Pour le bien d'un documentaire, il a décidé de refaire le même voyage.
Publié aux Etats-Unis en 1988, Mississippi Solo est publié pour la première fois en français. Ce texte important, plébiscité Outre-Atlantique, méritait une traduction en français, c'est désormais chose faite, grâce au travail éditorial des éditions Liana Levi. Merci à eux !
Delphine
Paru en septembre 2020. Traduit de l'américain par Pascale-Marie Deschamps.
Après Au bord de la Sanda, ce roman constitue le deuxième ouvrage consacré à la solitude par Gyrdir Eliasson. A la manière d’un peintre, cet auteur islandais écrit par petites touches qui composent elles-mêmes un tableau plus général ; celui d’un romancier peu inspiré venu se réfugier dans une minuscule cabane, dans un village isolé, au bord de la mer, pour achever un roman qui décidément n’avance pas. Ces multiples petites touches sont autant d’états d’âme d’un artiste qui se frotte aux vertiges de la solitude et des questionnements relatifs à la création littéraire. A quoi donc se rattacher dans ce monde qui ploie sous les mauvaises nouvelles ? Aux rêveries que suscitent les moindres manifestations de la nature? A l’amour ? A soi-même ? Aux feuilles de papiers qui sortent de sa vieille machine à écrire ? Ou alors à rien, s’effacer jusqu’au néant ? La force de ce beau roman est de nous confronter à des banalités qui d’apparentes peuvent aussi se révéler fulgurantes et poétiques et dans lesquelles se dévoilent les difficultés du processus créatif d’un écrivain qui ne manque pas d’un certain et désabusé humour.
Gregory R.
Paru en septembre 2020, traduit de l'islandais par Catherine Eyjolfsson.
Enquête passionnante sur la famille Rimbaud - celle d’Arthur bien sûr, mais aussi celle de Frédéric, son frère; une famille qui n’a cessé d’effacer toute trace de ce dernier de la mythologie du génial poète afin de ne pas en altérer son éclat. David Le Bailly nous emmène dans son voyage au coeur des Ardennes, à la recherche de documents, de personnes même encore, qui pourraient l’éclairer sur la vie de ce frère maudit. Et c’est justement parce que celui-ci a « raté » sa vie que l’auteur-journaliste s’intéresse à lui, parce qu’il ne veut pas se contenter de l’Histoire véhiculée par les canaux officiels mais plutôt essayer de retracer une autre Histoire, celle vue et vécue par des personnages mineurs. Le Livre alterne des chapitres où l’auteur nous explique son enquête et d’autres où il laisse libre cours à sa plume et à son interprétation de ce que fut, au sein de cette famille obsédée par la position sociale et la réussite matérielle, la vie de Frédéric -qui n’a sans doute pas tout raté!
Un vrai plaisir de lecture !
Gregory R.
Paru en août 2020. Existe au format numérique.
Très, très beau livre… dans cette situation politique inextricable que semble être le conflit israélo-palestinien, il se trouve encore et toujours des hommes pour qui la vengeance et le cloisonnement sécuritaire ne sont que des illusions destructrices. Deux pères, l’un israélien, l’autre palestinien. Tous deux détruits par la disparition de leur fille dans cet engrenage de violence. Une vie à reconstruire et un sens à retrouver. En mille petits chapitres qui sont le reflet des nombreuses facettes de ce conflit, Colum McCann nous raconte l’histoire de ces porteurs de paix et comment la volonté de sauver des vies a pu naitre de leur douleurs et de leur chagrin.
Un livre exigeant mais qui nous touche et interpelle.
Gregory
Paru en août 2020. Traduit de l'anglais (Irlande) par Clément Baude. Existe aussi au format numérique.
« Il ne reste presque plus rien à La Bassée : un bourg et quelques hameaux, dont celui qu’occupent Bergogne, sa femme Marion et leur fille Ida, ainsi qu’une voisine, Christine, une artiste installée ici depuis des années. On s’active, on se prépare pour l’anniversaire de Marion, dont on va fêter les quarante ans. Mais alors que la fête se profile, des inconnus rôdent autour du hameau. »
Roman noir, polar psychologique… aucun de ces deux adjectifs n’est galvaudé ! Plus de 600 pages pour nous relater une nuit fatale dans le hameau des Trois Femmes Seules, îlot de vie abîmé et planté au milieu de nulle part. Disons-le tout de suite, ce livre est une sorte de goutte-à-goutte, vicieux et cruel. Un drame va se jouer, on le sent assez vite, mais Laurent Mauvignier prend son temps. Car c’est dans la tête de chacun des protagonistes qu’il veut nous faire plonger, c’est là qu’il donne au récit toute son ampleur, le fait se dilater dans le temps et éclaire à l'aide d'une lampe torche les recoins que certains ont voulu les plus cachés. Le texte est certes long mais aucun mot ne semble pouvoir être retiré au risque de ne plus être capable de cerner au mieux les résolutions, les doutes et les peurs des personnages, de ne plus saisir pleinement comment leurs blessures et leurs secrets, mais aussi leur amour, ont pu engendrer un tel enchainement. Un excellent roman que vous ne lacherez pas malgré son poids!
Gregory
Paru en septembre 2020. Existe aussi au format numérique.
Never(s) ets un très beau roman sur la présence et l'absence, doublé d'une subtile réflexion sur le pouvoir de l'écriture.
Etiennette et Georges se rencontrent à Casablanca en 1942, elle est enceinte d'un soldat qui l'a abandonnée et est rentré au pays, il est amoureux d'elle et sera le père de son fils Jean, sourd de naissance. Engagé volontaire, Georges part aider à la libération de la France en 1943 juste après leur mariage et sera ensuite affecté en Indochine jusqu'en 1948. Etiennette quant à elle, doit quitter le Maroc pour une petite bourgade française près de Nevers où elle sera accueillie comme une étrangère avec ses deux enfants par la famille de son mari. Ce sera donc six longues années remplies de centaines de lettres, une relation épistolaire avec ses hauts et ses bas, pour apprendre à mieux se connaître, pour se dire des choses indicibles en vrai, pour écrire le roman de leur rencontre, de leurs premières années de mariage.
Etiennette est la grand-mère de Frédérique Berthet, elle lui a légué une petite valise remplie de ces lettres dont elle n'avait jamais (never) parlé à personne. Et l'une comme l'autre, ont fait "des écritures" pour raconter cette histoire d'amour.
Magnifique de délicatesse et de profondeur des sentiments !
Catherine D.
Paru en mai 2020. Existe aussi au format numérique.
Du jour au lendemain, le patron de cette petite imprimerie à l’ancienne disparaît, entraînant dans sa foulée la mise sur la touche de ses quatre employés. Désœuvrés par l’arrêt subit de leur activité, ils se retrouvent dans un bar pour noyer leur désarroi dans des litres de schnaps. Nous sommes dans les années 1970 en RDA et ces quatre destins marginaux vont raconter des révoltes sourdes, quasi invisibles, contre leur quotidien. Les révoltes des laissés-pour-compte de l’époque du Mur. Un petit concentré de puissance. Étrange, troublant, tendre et drôle.
Olivier
Paru en octobre 2019. Traduit de l'allemand par Barbara Fontaine. Existe aussi en version numérique.
Le narrateur traverse l’Allemagne de fête en fête, bravant les gueules de bois et les rencontres sauvages dans une épopée drôle et pleine de sentiments malgré la froideur des personnages qu’il rencontre. Il dépeint la jeunesse allemande des années 1990 et sa consommation de toutes sortes de drogues, avec cynisme et drôlerie. Au travers d’un ton brut et d’une voix d’une honnêteté troublante, il dresse un constat glaçant d’une jeunesse privilégiée, envahie par le vide. La ressemblance avec Bret Easton Ellis est frappante, si ce n’est qu’on trouve chez Kracht une dose d’humour qu’il décline avec adresse, dans une langue directe. Admirable.
Olivier
Paru en septembre 2019. Traduit de l'allemand (Suisse) par Corinna Gepner. Existe aussi en version numérique.
Ce livre court et intense nous parle de famille, de transmission, de fratrie, de folie, de deuil... Parfois, c’est après leur mort qu’on comprend mieux la vie de nos proches. Ce premier roman très intimiste nous emmène aussi dans les grands espaces de la Gaspésie. Un livre tout en finesse qui se lit d’une traite et qui marque les esprits.
Catherine M.
Paru en février 2020.
Vittorio, romancier autrefois célèbre, disparaît le soir de Noël, absent du repas concocté par son épouse. Autour de la table se retrouvent sept femmes aux relations le plus souvent teintées d’hostilité. Sept femmes qui gravitent autour de sa personne : sa mère de 89 ans, sa femme, son ex, sa sœur, ses deux filles et sa jeune maîtresse. Au fil des semaines, les masques tombent. "Car si Vittorio était leur dénominateur commun, il était aussi la raison de leur rivalité."
Roman choral psychologique, chronique drôle et féroce du milieu bourgeois milanais et du carcan familial.
Véronique
Paru en mai 2020. Traduit de l'italien par Lise Caillat. Existe aussi en version numérique.
Une vieille maison inconfortable, battue par les vents, sur le rivage atlantique. Cette demeure autant honnie qu’aimée, Hélène l’a acquise dix ans plus tôt. Qu’y trouve-t-elle sinon les traces d’une personne autrefois aimée et celles d’une légende qui résonne en elle, réveillant une blessure d’enfance jamais cicatrisée. Cet automne, Hélène s’y rend avec la ferme intention de vendre la vieille baraque. Mais c’est sans compter sur la présence de Joe qui y a élu domicile, photographe des traces d’histoire en voie de disparition qui fait le tour des blockhaus de la région, ni sur l’arrivée intempestive de Bambi, sa chère filleule. Tout ce petit monde va bousculer ses plans, de même que la rencontre avec un certain Mr Flint et une terrible tempête.
D’envolées poétiques en répliques humoristiques, la langue d’Anne-Marie Garat est superbe.
Véronique
Paru en février 2020. Existe aussi au format numérique.
Voilà un sacré grand roman d’anticipation qui se situe dans un monde hyper connecté où tous nos déplacements sont tracés, analysés afin de nous “protéger“ et de nous proposer des expériences toujours plus proches de nos “envies“. Bref, un monde idéal... Pas si sûr ! L’État a de moins en moins de pouvoir ; les entreprises privées se chargent de toute une série de services, à commencer par l’enseignement qui est complètement privatisé. Mais dans cette société où tout est contrôlé, il se raconte que des êtres vivants échappent aux radars. S’agit-il d’une légende urbaine ? S’ils existent, ces furtifs, sont-ils extra-terrestres ? Sont-ils des formes animales ? Végétales ? Humaines ?
Une lecture exigeante, interpellante et qui amplifie la compréhension de notre monde.
Catherine M.
Paru en avril 2019. Existe aussi en version numérique.
Rob Hopkins, c'est cet activiste anglais souriant souvent associé au mouvement des Villes en transition. Transition écologique, résilience face au pic de pétrole, aux changements climatiques et aux inégalités sociales : autant de concepts qu'on peut associer à ce mouvement.
Face aux questions du "que faire?" et "comment faire?", qui nous laissent souvent un amer goût d'impuissance ou de découragement, Hopkins raconte dans ce livre une kyrielle d'histoires vraies, des initiatives locales qui ont montré un potentiel de transformation étonnants: le petit groupe qui a transformé un sinistre terminal de bus en place du village verdoyante pour un jour, éveillant ainsi la conscience que c'était possible; les éducateurs qui ont réaménagé une carrière en site de formation pour d'anciens détenus; et tant d'autres.
Vivifiant, libérateur, lucide aussi, ce texte porte en son coeur un outil puissant: l'imagination. Habituellement associée au manque de réalisme, au rêve sans suite, elle est au contraire, on en sort convaincu après la lecture de ce livre, un levier incroyable de changement et d'action.
Un livre à lire, à prêter, à relire et à faire circuler !
Natacha
C'est l'histoire d'un silence, du silence lié à l'indicible et à la honte. Santiago H. Amigorena, dans une écriture douce et subtile, nous livre les pensées et la vie "rêvée" de son grand-père, juif polonais émigré en Argentine dans les années 1920, laissant derrière lui sa famille, sa mère et son frère... Comment continuer à vivre une vie insouciante et pleine de vie (il aura 3 enfants avec son épouse argentine Rosita) quand l'horreur menace sa famille à l'autre bout du monde ? Comment appréhender les nouvelles qui arrivent avec des mois de décalage et qui sont quelque peu édulcorées par la censure ? Comment arriver à comprendre et à accepter l'enfermement physique dans lequel se retrouve progressivement sa mère et qui la conduira à la mort dans les camps ? Vicente, ce grand-père qu'Amigorena n'a presque pas connu, s'est dès lors lui-même enfermé dans un silence dévastateur dont son petit-fils en porte encore le poids et les traces aujourd'hui... Magnifique texte rempli de pudeur et d'émotions.
Catherine D.
Paru en août 2019. existe aussi au format numérique.
Nous sommes dans les années 1960. Par une habile mosaïque de sources, Béatrice Kahn nous fait remonter le fil de l'histoire dans ce village, par les yeux et les oreilles d'Élisabeth, quatorze ans, dont l'amie de vingt ans vient d'être retrouvée morte près du barrage et qui se cache aujourd'hui sous la table du café de la place, à l'écoute des conversations des adultes.
Roman à la construction sans faille sans que cela le prive de poésie, Les dessous montre aussi comme la guerre et les destinées individuelles peuvent tragiquement s'entrecroiser, s'enmmêler dans la confusion.
Un coup de coeur à la fois doux et empoisonné.
Natacha
« Elles ont encore la majeure partie de leur vie devant elles. Elles font des erreurs, mais rien de fatal. Elles ne sont plus jeunes, mais ne sentent pas vieilles. La vie est encore malléable et pleine de potentiel. L’entrée des chemins qu’elles n’ont pas empruntés ne s’est pas encore refermée. Il leur reste du temps pour devenir celles qu’elles seront. »
Une belle histoire de femmes, d’amitié, où il est question de choix, d’art, de carrière, de maternité, de doutes et d’amour, le tout servi par l’écriture empathique de son autrice. Un très bon moment de lecture en ces temps troublés !
Catherine D.
Paru en février 2020, traduit de l’anglais par Elodie Leplat. Existe aussi au format numérique.
Voici une très belle biographie de Magellan qui nous replonge dans l’époque des épopées marines européennes du 16e siècle et qui nous apprend que les populations vivant à l’époque dans les îles du Pacifique étaient déjà bien plus développées que ce que l’histoire nous raconte habituellement.
On croit connaitre l'histoire mais en réalité, le prisme du lieu où ce récit a été construit, raconté, transmis aux générations doit être appliqué pour démêler ce qui relève de la vérité ou de la construction sociale, de la production d'un mythe qui arrange ceux qui racontent les faits.
Une lecture qui nous voyager et réfléchir, le tout servi par une plume belle et fluide.
Catherine M
Paru en février 2020.
Aux confins de l’Europe, la Bulgarie, la Grèce et la Turquie se partagent une frontière faite de montagnes, de forêts et surtout chargée d’histoire. Aujourd’hui, des migrants africains ou venant du Moyen-Orient tentent là-bas d’entrer en Europe, alors que durant la guerre froide, des allemands de l’Est la traversaient dans l’autre sens pour rejoindre la Turquie. Ces lieux sont aussi chargés de mystères et de légendes qui se racontent de génération en génération, qui se transforment au fil du temps.
L’autrice, bulgare, parcourt ce territoire et nous raconte la vie des gens qu’elle rencontre, de leurs familles et à travers elles, l’histoire de cette région, de l’Europe. On découvre des personnages incroyables issus de populations malmenées et déplacées au gré des remous politiques. Instructif, dépaysant, passionnant !
Catherine M
Paru en février 2020. Existe aussi en format numérique.
Françoise, la cinquantaine, s'enlise dans une vie morne. Chaque jour, elle s'acquitte de ses tâches comme une ombre discrète, les tâches ménagères dans leur appartement à la cité, les recherches d'emploi infructueuses au Pôle emploi. Son quotidien est bien terne avec un mari peu attentif, un fils unique dont les visites s'espacent. Les seuls bons moments sont ceux passés en compagnie de son amie Rose. Cette dernière, immobilisée à cause d'un plâtre, demande à Françoise de lui rendre un service : s'occuper pendant quelques semaines de la parcelle de jardin d'un potager collectif de quartier dont elle vient de devenir propriétaire. Françoise n'y connaît rien en jardinage, mais accepte. Après tout, ce ne doit pas être si compliqué, et ça lui permettra de changer d'air.
Mais aux "Beaux jours", Françoise découvre de nouveaux gestes, un nouveau rythme de vie, et la joie de travailler la terre. Elle va aussi devoir y faire sa place, apprivoiser les habitués, créer des liens. Et pourquoi pas vivre une autre vie, juste quelques heures par jour, en se faisant passer pour la veuve Rose ?
Chronique sociale, cette histoire simple et touchante nous rappelle l'importance de réenchanter le quotidien. Quelle délicatesse que ce roman graphique ! Hervé Duphot nous offre un petit bijou de fraîcheur dessiné en couleurs directes à l'aquarelle. Petite bulle d'oxygène bien agréable à lire en ce printemps.
Delphine
Paru en mars 2020. Existe aussi en version numérique.
Avec ce premier tome d'une fresque familiale qui devrait en compter trois, Leïla Slimani nous emporte dans un recit doté d'un souffle impressionnant. Elle y raconte l'histoire d'une famille franco-marocaine, inspirée de sa propre histoire familiale. Ce premier roman est consacré à la décennie 1945-1955.
En 1944, Mathilde tombe amoureuse d'Amine, jeune et beau soldat marocain venu combattre sur le front français en Alsace. Ils se marient et elle le rejoint à Meknès après la Libération. La fougueuse Mathilde rêvait d'exotisme, elle va se heurter à l'aridité du quotidien qui l'attend au Maroc. Le couple s'installe sur des terres familiales situées dans la campagne aux alentours de Meknès, érige une ferme, décide de vivre du travail de ces terres. Le labeur est harassant, les revenus maigres, l'isolement pesant, surtout pour Mathilde qui est nostalgique de la France et de l'insouciance de sa jeunesse. Deux enfants naîtront rapidement : Aicha et Sélim.
Mais le climat au Maroc est tendu, les violences envers les colons français se multiplient, le peuple marocain réclamant l'indépendance. Mathilde et Amine incarnent la mixité : elle est Française chrétienne, lui Marocain musulman, leurs enfants métissés et à mi-chemin entre les deux cultures. Une mixité bien inconfortable en ces périodes de montée du nationalisme... La notion d' "étranger" est au coeur de ce roman, le "pays des autres" est sans cesse questionné : celui des indigènes marocains et leurs coutumes étranges aux yeux de Mathilde, celui des colonisateurs français et leur arrogance envers le peuple indigène, celui des hommes qui opposent leur autorité parfois brutale aux femmes, celui des pensées d'une femme européenne comme l'est Mathilde et qui restent un mystère pour Amine... La question de la féminité est aussi sans cesse interrogée : dans cette société marocaine, mais aussi en France, quel est le devoir d'une femme, d'une mère, d'une jeune fille (la jeune Selma, soeur d'Amine y tient aussi un rôle central), quelles sont leurs libertés ?
Leïla Slimani est douée d'une grande finesse pour décrire la psychologie de ses personnages, tout en nuances. Elle est très habile pour tisser un fil narratif dense et fluide à la fois. Elle excelle dans l'art de reconstituer les ambiances colorées de ces années 1950 au Maroc, un pays écartelé entre ses traditions ancestrales et son souhait de modernité. Son écriture est à la fois précise et souple, envoûtante, on se laisse emporter au fil des pages avec beaucoup de plaisir.
Un roman passionnant, d'une grande humanité, que l'on recommande vivement et dont on attend la suite avec impatience.
Delphine
Paru en mars 2020. Existe aussi au format numérique.
"Si le collectif humain n'est qu'un noeud de relations au milieu qu'il habite, les limites dans l'usage de ce milieu ne sont plus des contraintes externes imposées par une Nature dont il faudrait s'émanciper, mais les lignes mêmes de notre visage. De notre visage réel, non fantasmé : celui d'un vivant insufflé de vie par la communauté biotique qui le porte à bout de bras."
Voici une lecture dont on ressort transformé, un peu sonné aussi, et surpris. Surpris d'avoir tant appris, surpris par la beauté des mots, supris par la force des concepts élaborés savamment par l'exemple. Car Baptiste Morizot est un philosophe engagé, pour qui le réel et l'expérience fondent la pensée, cette dernière s'inscrivant au coeur du vivant. Il nous emmène alors avec lui dans les montagnes du Vercors sur la piste des loups, et conséquemment sur celle des brebis, des bergers et de la prairie qu'ils occupent pour, tour à tour, nous faire "ressentir" leurs manières d'être. C'est avec force et subtilité que le philosophe de terrain va nous inviter à repenser la politique du vivant en remettant la relation au centre de tout, en déployant un art de l'attention, de l'interprétation, de la "diplomatie interspécifique des interdépendances comme théorie et pratiques des égards ajustés." Plonger dans le monde de Baptiste Morizot, c'est comme prendre un bain de forêt tout en pensant aux photos qu'on ira poster en rentrant sur son réseau social préféré : notre position est équivoque, un trouble d'ordre moral se fait sentir et paradoxalement, c'est à cet endroit-là précisément que nous pouvons agir, sans prendre position mais en écoutant notre "barbouillement moral" qui nous fait entrer en toute discrétion dans une politique du vivant... c'est rassurant et vivifiant!
Il y a tant à lire (et tant à dire), tant à s'imprégner et à découvrir, le tout servi par une écriture virtuose, ancrée et poétique, sensible. Une lecture vibrante, engagée, utile à tous les vivants, humains et non humains, et qui ne tombe pas dans l'opposition extractivisme versus sanctuarisation de la nature, mais qui réconcilie l'interconnectivité (pour la défense d'une culture de l'internet libre) avec l'expérience de la nature. Brillant!
Catherine D.
Paru en février 2020, collection Mondes Sauvages chez Actes Sud Nature. Disponible également au format numérique.
"Plus qu'en appeler à l'amour de la Nature, ou agiter la crainte de l'Apocalypse, il me semble qu'une voie plus ajustée aux enjeux du temps revient à multiplier les approches, les pratiques, les discours, les oeuvres, les dispositifs, les expériences qui sont capables de nous faire sentir et vivre depuis le point de vue des interdépendances. Nous faire sentir et vivre comme vivant parmi les vivants, comme eux pris dans la trame, partageant des ascendances et des manières d'être vivant, un destin commun, et une vulnérabilité mutuelle.
Paradoxalement, c'est la crise aujourd'hui qui est le dispositif de cet ordre le plus efficient : la crise des abeilles, la crise de la vie des sols, la crise des forêts amazoniennes comme puits de carbone, parce que la fragilisation d'une forme de vie prise dans le tissage fait tinter toute la trame jusqu'à nous, et nous rapelle que nous n'avons jamais été seuls, que nous ne sommes vivants que glissés dans la vie des autres, dans une situation de vulnérabilité mutuelle.
C'est l'expérience de la vulnérabilité mutuelle avec les pollinisateurs, les vers de terre, la vie des océans, qui nous pousse à sentir depuis le point de vue des interdépendances. A élargir le spectre du souci. C'est que nous traitons désormais de vivant à vivant. Et plus d'"Homme" à "Nature". Si nous sommes vulnérables à leur fragilisation, c'est qu'ils sont importants. Et s'ils sont importants, pourquoi tous les autres ne le seraient-ils pas aussi? Et, de là, la brèche est ouverte dans notre attention politique, où peut s'engouffrer le reste du vivant. C'est une manière de comprendre le déploiement si soudain d'un mouvement comme Extinction Rebellion, comme le sens profond de son mot d'ordre aux allures paradoxales : "Avec amour et rage". L'amour est le souci des interdépendances, la rage va contre ce qui les détruit."
Ce roman graphique se lit comme un polar : une histoire d'agent double, de crapule ou de héros dans l'Espagne de Franco.
Rodrigo Mendoza est journaliste culturel pour un périodique espagnol. En 1984, on lui confie l'écriture d'un article sur une exposition de photographies d'Antoni Campana, exposition consacrée à la lutte républicaine et à la résistance au franquisme. Il y découvre avec stupéfaction une photographie présentant son père comme un potentiel résistant alors qu'il l'avait toujours considéré comme un monstre, chef de la censure et de la propagande à l'époque de Franco. Mais son père est mort et ne peut donc livrer son secret depuis sa tombe. Rodrigo décide d'entamer une enquête personnelle qui l'amènera de suprises en surprises.
Le scénario de Pablo Velarde est bien doumenté et diablement bien ficelé. Au long des 300 pages, on ne s'ennuie pas une minute. Par un jeu de flash-backs (traités avec des couleurs différentes), on remonte dans le temps, et on voyage ainsi entre l'époque franquiste et la période qui suit la fin de la dictature, début des années 1980. Jusqu'à l'épilogue, qui nous réserve une surprise de taille et nous donne furieusement envie de reprendre la lecture à la première page.
Le dessin au crayon noir de Velarde est original, assez graphique, les planches sont dotées d'une atmosphère vraiment particulière qui convient tout à fait au genre du polar. Pablo Velarde a mis beaucoup d'intensité dans ce roman graphique, on sent que ce projet lui tient à coeur.
A découvrir.
Delphine
Paru en février 2020.
Jarret Krosoczka nous livre dans ce roman graphique un récit intimiste touchant : il nous raconte son enfance et son adolescence dans le Massachusetts, comment il a été élevé par ses grands-parents, sa maman étant toxicomane et son père aux abonnés absents depuis sa naissance. Il nous montre combien ses grands-parents, avec leurs caractères bien trempés et leur âge grandissant, ont été non seulement des tuteurs responsables mais aussi des proches aimants, qui ont contribué à ce que Jarret devienne ce qu'il est aujourd'hui : un adulte bien dans sa peau, un artiste aussi. Jarret Krosoczka a voulu dans ce récit montrer combien il leur était redevable, et aussi dire à ses parents qu'ils les aime malgré leurs faiblesses.
Les dessins expressifs presque caricaturaux, cernés de traits épais, sont spontanés et vivants, les ambiances colorées en gris et orange confèrent à l'objet une touche rétro, les photos et souvenirs qui agrément le récit nous rappellent que l'histoire de Jarret est vraie.
Le ton du récit est parfaitement juste : entre témoignage et humour, l'auteur se raconte avec beaucoup de sincérité et sans pathos. Ce roman graphique se lit comme un hommage, une déclaration d'amour d'un homme à sa famille pourtant ô combien dysfonctionnelle. Et une ode aux pouvoirs de la création qui ont permis à Jarret de trouver sa voie et une reconnaissance.
Belle découverte. Un livre que j'ai dévoré.
Delphine
Paru en février 2020. Existe aussi au format numérique.
Gros coup de coeur pour ce roman qui se déroule dans une cité à Marseille et dans un bidonville tout proche, occupé par des gitans sédentarisés.
Au sein d’une famille située à l’autre extrémité de l’échelle sociale si on la compare à la famille mise en scène dans Les garçons de l’été, Rebecca Lighieri met en scène un père violent et maltraitant.
Ses trois enfants tracent leur chemin entre les coups et les cris, surtout le dernier-né qui est affecté de plusieurs problèmes de santé considérés comme d’impardonnables tares par le paternel. Quant aux deux aînés, dotés d’une beauté qui fascine, il n’hésite pas à tenter d’exploiter leur apparence en les traînant de casting publicitaire en audition.
Dans ce bouleversant roman, la beauté va se loger où on ne l’attend pas, comme souvent chez Rebecca Lighieri, qui fait fleurir des éclats de lumière dans les interstices de la glauquitude.
Natacha
Janvier 2020