... "Ma voix elle vaut rien devant celle du colon - C'est parce que les Français ils disent qu'ils ont la prépondérance - C'est quoi, la prépondérance ? - C'est quand tu prépondères - Qu'est-ce que ça veut dire ? - C'est quand tu as les mitrailleuses et les Sénégalais - Les Français, ils disent que tu es prépondérant quand tu es plus civilisé - Plus civilisé ?..."
Voici un roman à rebondissements, conté d'un rythme soutenu et sur un ton moqueur.
Nous sommes à Nahbès, ville imaginaire, entre 1922 et 1924, une ville coupée en deux par un lit d'oued, très raviné... la rive gauche, la rive droite, la ville indigène, la ville européenne. Quand des Américains débarquent afin d'y tourner un film, "Le guerrier des sables", la petite ville est en émoi. Bruyants, d'allure frivole, surtout les femmes dont "les robes laissaient voir beaucoup de chair" et "qui s'installaient sans hommes à la terrasse des cafés", ils perturbent le monde policé des prépondérants, d'autant plus que les Américains "copains avec tout le monde, un officier à particule ou l'épicier Ben Machin, c'était quand même insultant... il y en avait même qui s'étaient mis à apprendre l'arabe... et les bicots, ils s'y croyaient déjà ". Mais la petite communauté américaine est aussi perturbée par une affaire qui défraie la chronique, là-bas, chez eux, dans le monde du cinéma, une histoire de viol suivie d'un décès.
Dans tout ce méli-mélo, on s'attache à Raouf, le fils du caïd Si Ahmed, bachelier doué qui a fréquenté le lycée français. Raouf rêve de liberté, de justice et d'indépendance. Raouf et Ganthier, un riche colon, effectueront "le grand voyage" qui les mènera de Paris à l'Allemagne. Belkhodja, commerçant prétentieux, aux rêves de grandeur, finira acculé par des dettes qui fera dire à un prêteur : "Quand la fête est finie, il ne reste que du linge sale".
On croisera la route d'un trio de femmes aux caractères bien trempés : Kathryn, une actrice américaine, Gabrielle Conti, une journaliste française et Rania, jeune veuve, intellectuelle, "sculpturale, des yeux en amande" qui a le goût des livres, lisant l'arabe et le français.
On pourrait dire encore beaucoup de choses sur cet excellent livre... notamment qu'on ne s'y ennuie pas une seconde.
Véronique B.
Août 2015