Pour certains auteurs, parce qu'on les suit depuis longtemps, parce qu'on connaît leur travail, parce qu'on les a rencontrés, on développe un attachement particulier. Il en est ainsi pour moi avec Martin Winckler, l'auteur du Choeur des femmes et de la Maladie de Sachs, entre autres nombreux livres.
Médecin et auteur, militant, capable d'engranger des informations dans une quantité et une diversité hors du commun, immense lecteur, Martin Winckler maîtrise les ressorts de la narration et en joue, et il met souvent son art de conteur au service d'un savoureux mélange de plaisir de lecture, de pédagogie, de transmission d'un message politique, de transmission de connaissances historiques et scientifiques, et parfois de proposition de société, un peu à la façon des utopies. A la fois lecteur épris et lecteur expert grâce aux clefs qu'il nous donne lui-même sur la construction romanesque de ses oeuvres, on est doublement comblés comme amoureux des livres : de grandir en connaissance et en compréhension, et de se laisser happer par le récit, comme un enfant qu'on prendrait au sérieux.
Franz en Amérique est le troisième volet d'une trilogie, après Abraham et fils, qui relatait l'enfance du jeune Franz à partir de ses 8 ans et montrait la France des années 1960, et Histoires de Franz, dans lequel Franz adolescent nous conduisait jusqu'au début des années 70, tout en traversant les affres de son âge, tous deux parus également en format de poche chez Folio.
Ici, avec Franz en Amérique, l'horizon s'élargit encore : celui de Franz qui vit une expérience d'un an aux États-Unis comme étudiant d'échange, celui du livre qui nous introduit dans les différents mouvements contestataires en Amérique dans ces années-là, et va plus loin en nous livrant des morceaux de cours d'histoire du XXème siècle : guerre d'Algérie, guerre du Vietnam notamment.
Les chevaux de bataille de Martin Winckler sont bien là et s'invitent comme dans tous ses romans, avec fougue : sa vision du soin et de la médecine, de la politique française, etc. Et dans le même temps, on croirait voir se déployer le portrait d'un adolescent idéal vivant une expérience idéale, celle que peut-être il aurait aimé vivre ? Tout en la resituant aux côtés d'un double romanesque terrien et plein de sagesse, ce qui rend chaque personnage profondément émouvant.
Foisonnant, multiple, abondant, pas résumable, voyageant dans le temps et déployant une créativité formelle qui pour autant ne perd pas le lecteur en route, Martin Winckler déploie tout son talent dans ce troisième volet qui fait même un détour par les années Covid, et dont j'ai lu jusqu'à la dernière goutte (oui, même les remerciements en fin d'ouvrage valent le détour).
Voilà pourquoi, avec une subjectivité qui fait écho à celle, tout assumée, de l'auteur, j'adore Franz. Et Martin Winckler.
Natacha